Christel Nemouchi

Culpabilité : De l’expérience négative à l’enseignement de vie

PAR CHRISTEL NEMOUCHI-

Elle s’est frayée un chemin jusque dans ma tête et comme elle s’y trouve au chaud, elle n’en sort que rarement. Petit animal grincheux, autoritaire et opportuniste, elle ne perd aucune occasion de venir sournoisement me torturer les méninges, et me tirailler les entrailles. Entre elle et moi, c’est une histoire bien particulière… Et peut-être encore quelques souvenirs fixés dans ma mémoire pour en témoigner. Enfant, sur une plage de sable fin, lorsque je protège jalousement mon seau et ma pelle sous le regard effaré d’une petite fille. Sur les bancs d’école où je peste contre moi-même de ne pas rapporter de meilleures notes à la maison. Dans mon couple, quand à bout de nerf, je déverse tous mes reproches sur l’autre pour regretter aussitôt. Au travail où les reporting mensuels affichent peut-être toute mon incapacité à être rentable. Au téléphone quand je cherche mille excuses pour annuler le repas de famille du dimanche midi. Devant le JT du 20 heures, avec ce constat affligeant: « Quel monde va t-on laisser à nos enfants?! »

La culpabilité, Lina, 8 ans
La culpabilité, Julien, 40 ans

Oui, rien à faire il y a toujours ce moment où je la sens en moi, cette teigne de culpabilité! Et je sens bien qu’elle grandit de jour en jour, parce qu’à force de lassitude j’ai fini par lui céder du terrain. A plusieurs reprises, j’ai fait preuve des meilleures résolutions, ressassé des « Pas bien grave ça va s’arranger… » ou des « Peuvent bien me comprendre après tout! ».
Oui mais voilà… C’est un véritable boomerang! Quand bien même je la chasse, elle me revient aussitôt au galop, elle sait saisir l’instant où je baisse ma garde. Au masculin comme au féminin, sans doute vous reconnaîtrez-vous dans une de ces situations. En effet, la culpabilité à priori c’est plutôt banal, c’est plutôt fréquent, et rares sont ceux qui n’en n’ont jamais fait les frais.

Comprendre la culpabilité

La culpabilité, Clémence, 15 ans

A ce stade de la réflexion, me vient l’envie soudaine de vous déculpabiliser un peu. Ressentir de la culpabilité c’est sain et naturel. Mon empathie révèle ma capacité à être responsable et attentif à l’autre.
Selon Laurent Bègue, psychologue social :

«La culpabilité est une expérience émotionnelle désagréable, caractérisée par un sentiment de tension, d’anxiété et d’agitation. Mais, bien avant de constituer une manifestation inadaptée, elle est un signe de bonne santé psychologique».

Ainsi, quand je culpabilise, je vais bien!
Allons un peu plus loin dans l’explication… La culpabilité appartient au registre de l’émotion. Nous avons souvent à l’esprit les quatre émotions primaires: colère, peur, tristesse et joie. Emotions-stars depuis le franc succès du petit chef-d’œuvre d’animation «Vice-Versa» (Studios Disney 2015). Partagées par toutes les sociétés, elles ont cette particularité d’être universellement associées à des expressions faciales et réactions communes (Pleurs de tristesse, rires de joie, hurlements de colère, tremblements de peur… ). Nous entendons moins parler des petites sœurs, les émotions morales auto-conscientes: honte, culpabilité, fierté. Ces émotions se déclinent différemment en chacun de nous. En effet, elles sont propres à notre culture, nos croyances et notre éducation. Inculquées au fil de notre histoire personnelle. Elles dépendent notamment des transmissions familiales, de notre rapport à la loi, à l’interdit et reposent également sur nos peurs profondes (crainte du rejet social, du jugement divin…). En outre, notre sensibilité et notre capacité à nous auto-rassurer seront d’autres potentiels facteurs d’influence. Un tempérament anxieux par exemple, tombera plus facilement dans l’engrenage de la culpabilité.

 

Ainsi, Le sentiment de culpabilité naît de cette évaluation que je porte sur mes actes, et du remord qui en découle.


Lorsque je bouscule l’ordre établi et prends conscience des dommages collatéraux que j’occasionne, je peux ressentir une difficulté à briser cette « image idéale », que je soignais jusque là. Un déséquilibre s’opère en moi, lié à cet écart de conduite qui me contrarie. Ce moment d’inconfort restera la plupart du temps passager et sans grande conséquence. Il existe toutefois un risque à le nourrir sur le long terme. C’est le cas lorsque j’entretiens les ruminations et le mépris de ma personne. La culpabilité entre alors dans sa forme la plus violente, elle devient énergivore et destructrice. Les reproches que je me fais à moi-même agissent sur moi aussi insidieusement qu’une drogue. Ils s’invitent dans mon esprit, semant la confusion et l’inquiétude. Bien que mon organisme cherchera à s’adapter par tous les moyens pour conserver l’équilibre intérieur, mon corps, mes pensées et mes actions subiront les effets ravageurs de la pensée négative continue. Ainsi, perte de sommeil, hypersensibilité, stress chronique pourront progressivement bouleverser mon quotidien. Ce cercle vicieux, s’il s’installe dans la durée, pourra affecter mon état de santé général: perturbation hormonale, augmentation de ma pression artérielle et de mon rythme cardiaque, troubles digestifs réguliers, altération de ma respiration (rapide, haletante, thoracique et incomplète suite à la contraction de mon diaphragme). En cela, la culpabilité nécessite la même attention que toute émotion négative. Il est important de savoir réagir à temps, quand elle devient omniprésente dans ma tête. Se rappeler quelle que soit la situation, que mieux je respirerai, mieux je tiendrai l‘émotion à distance, et plus je m’activerai dans une énergie constructive et positive.

Émergence de la Conscience morale

Cette phase d’appréhension du bien et du mal s’opère durant notre enfance. Au moment où nos actions ne sont plus seulement guidées par des pulsions d’envie et de plaisir, dans la plupart des cas autour de l’âge de trois ans. Premiers signes, quand enfant je commence à adapter mon attitude en fonction des réactions des adultes. Je me mets progressivement à développer la crainte du regard de mes parents, de la punition, puis celle de ne plus plaire… En abandonnant ma vision purement égocentrique du monde, inconsciemment j’apprends à m’adapter, et me familiarise avec les attentes des autres et cette notion de tort causé à autrui. En cela, le respect et les valeurs familiales qui m’auront été enseignées, auront toute leur importance pour la suite de mon évolution, notamment dans mon rapport à l’autre.

La culpabilité, Carole, 45 ans

Ma part de Culpabilité  utile

Au XVIII ème siècle des chercheurs, dont le philosophe et économiste écossais Adam Smith se penchaient déjà sur la question de son utilité sociale. Leurs études avaient permis de mettre en évidence sa fonction d’alerte «dans un contexte où une personne est victime d’un dommage». Avec la prise de conscience que la culpabilité est associée au besoin sous-jacent de réparer une faute. Ainsi, en éprouvant du remord je prouve que je me sens concerné(e) par le mal que je provoque.

Chercher à arranger la situation pourra me permettre de regagner mon estime personnelle, et adoucira le regard que je porte sur mes actions. Ce signal intérieur est une information importante, qui m’amène à ajuster mon comportement pour m’améliorer. C’est une remise en question de mes agissements. Elle n’est pas anodine car lorsque je me préoccupe du ressenti d’autrui, je me positionne dans une attitude pro-sociale qui me rapproche des autres.

Or, le lien social représente la clé d’unification de toute société, communauté et association humaine. A l’inverse, tant que je me dédouane des conséquences de mes actes, je me focalise sur mon intérêt personnel, je ne peux développer de la considération pour autrui. En niant mon implication, je cours le risque de tendre ma relation à l’autre, jusqu’à provoquer mon exclusion sociale.

La culpabilité, Andréa, 9 ans

— Remerciements —
Un grand MERCI à tous les auteurs qui ont bien voulu partager leur vision de la culpabilité.
De belles créations, riches de sens et d’imagination. Il est toujours intéressant de croquer la culpabilité.
Pour les plus inspirés, n’hésitez pas, à vos crayons…

Prochainement :

«  La culpabilité sous toutes les coutures … »

Sources références:

  • Naître et grandir « La conscience morale chez l’enfant » – Révision scientifique Solène Bourque, psychoéducatrice- Décembre 2019
  • Journal des professionnels de l’enfance – Comment parler aux enfants? « Tous coupables» – Bimestriel 101
  • Pourquoi je culpabilise tout le temps – BIBA- article J. Reynie màj 26 fev 2020
  • La culpabilité, une émotion utile? Cerveau et psycho n°109- article du 20.03.2019 – Aurélien Graton est maître de conférences et chercheur au Laboratoire inter-universitaire de psychologie (LIP/PC2S), à Chambéry
  • A quoi sert la culpabilité? – Article Isabelle Taubes- Psychologies
  • Conférence « De la Culpabilité à la responsabilité » – Patrick RAS conférencier, formateur et spécialiste en développement personnel
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