Christel Nemouchi

La vertu du « bonjour! »

PAR CHRISTEL NEMOUCHI-


Je ne résiste pas à l’envie de vous partager un extrait de texte issu du « Traité de morale pour triompher des emmerdes » de Fabrice MIDAL. Pour ceux qui connaissent déjà Fabrice MIDAL, philosophe à l’hypersensibilité assumée, ils retrouveront toute cette empreinte de partage, qui est la sienne. Ce désir ardent de mettre de la conscience dans nos actes quotidiens, pour nous encourager à nous sentir libres et plus vivants. Ou devrais-je dire plus vibrants?

Je vous laisse au bonheur de découvrir cet extrait intitulé « La Vertu du Bonjour ». Puissiez-vous y puiser quelques réflexions profondes et vous sentir porter par l’élan nouveau de mettre du sens derrière chacun de vos « bonjours!

L'amicalité ou la vertu du Bonjour...

Extrait du « Traité de moral pour triompher des emmerdes »  de Fabrice MIDAL

J’ai pris le pli de dire systématiquement « bonjour » à toutes les personnes que je rencontre- au bureau, dans l’ascenseur ou à la poste peu importe. C’est un bonjour qui ne vient pas forcément du coeur, qui est indépendant de mes sentiments. Il est une sorte de rite auquel je me confie, en dehors de toute contingence. Un rite qui me libère de la lourdeur de moi-même – mes émotions sont fluctuantes et je ne vais pas me livrer à une introspection avant de vous saluer.
Est-ce que je fais ainsi montre d’hypocrisie? Sans doute au sens strict du terme: certains jours, je suis de mauvaise humeur, je n’ai pas envie de parler ni de sourire, mais je me force l’espace de quelques secondes.
Dans nombres d’entreprises où je suis amené à intervenir, je rencontre des responsables qui ne disent pas « bonjour » à leurs inférieurs hiérarchiques. Ils avancent dans les couloirs en regardant droit devant eux – ou, plus souvent, le nez plongé dans leur smartphone. Les salariés en perçoivent la violence ordinaire. Car ce fait, même quand il se répète chaque jour, n’est pas anodin.
Dire « bonjour » n’est pas seulement une formule de politesse: c’est un acte engagé qui atténue les différences et établit, ne serait-ce que le temps de ce bonjour, un rapport d’égalité. S’en priver est non seulement impoli mais, plus encore, un marqueur que je vois comme un mur rendant la rencontre impossible. Je ne vous salue pas parce que vous n’existez pas pour moi…
Le  « bonjour » participe à bien d’autres règles telles que savoir s’exprimer et se présenter selon les codes du lieu et de son interlocuteur, s’adapter à ceux que je croise, les respecter et attendre d’eux le même respect. Je ne vois pas ces règles comme des principes abstraits: elles sont les lignes blanches qui bordent un court de tennis, le construisent, le configurent et donnent ainsi au jeu sa possibilité. Avez-vous déjà joué sur un court sans lignes?
Aristote nommait ces règles « l’amitié sociale ». Il y voyait le fondement de l’harmonie. Je les appelle l’amicalité que l’on peut aussi traduire par l’art de vivre ou la politesse.
L’amitié sociale ou amicalité n’est pas l’amitié: elle ne draine ni émotions ni sentiments, dire au revoir quand je sors d’une réunion n’est pas un déchirement, mais presque une obligation. Elle est la clé qui m’ouvre aux autres, me permet de rentrer en rapport avec eux, avec la situation, donc avec la réalité. Grâce à cette clé, je peux être à l’écoute, être présent. Elle est le lien fondamental qui permet de créer une communauté en dehors de laquelle nous ne pouvons pas nous accomplir. Elle est la communauté dans le sens premier du terme: l’amicalité fonde le commun entre moi et l’autre. Son refus est plus qu’une affaire personnelle: c’est un sacrilège à l’ordre social.

FIN DE L’EXTRAIT

SE CONNECTER À L’AUTRE, C’EST SE CONFRONTER AU RÉEL…

Chaque « Bonjour » que nous prononçons est un acte de rencontre. C’est aussi un acte de reconnaissance. Le moyen le plus simple de communiquer le message: « je te vois…Tu existes pour moi! ». 
Le bonjour nous engage dans un positionnement personnel.  Il se décline au moyen d’un échange, verbal accompagné de non verbal (un jeu de regard, une poignée de main, une inclinaison de la tête, une étreinte, une tension parfois…) C’est une expérience qui tout en restant la plus neutre possible, pourra être différente et révélatrice de quelque chose d’intime. Impliquante, surprenante, car la réponse en face n’est jamais totalement prévisible. Un exercice qui nous amène à nous extraire de nos humeurs, pour demeurer disponible à l’autre, sans qu’il ne représente une quelconque menace pour nous. Fabrice MIDAL en témoigne dans ses propos: « Rencontrer suppose d’être ouvert, de se laisser déplacer, toucher, bouleverser… ». Une invitation à nous laisser convaincre par l’idée que la vie demeure le « surgissement de l’inattendu »(Selon les termes de Bergson). Un inattendu qui nous plonge rapidement dans la puissance du ressenti, la beauté de l’aventure, la richesse de l’adaptation. L’inattendu, c’est une nourriture de chaque instant qui nous permet de conjuguer à la première personne du singulier, des verbes d’actions au présent. C’est un moment subtil dans lequel se joue une décision, qui déclenche une action presque immédiate. »Je m’avance vers toi », « je t’embrasse », « je te serre la main », « je cherche ton regard »… » L’inattendu nous oblige à vivre plus intensément le moment présent, tout en acceptant sa part de risque. En nous cueillant, l’imprévisible requiert que nous composions avec la substance même de notre vie, avec ses aléas. Que nous nous réinventions parfois.

Ainsi, dire « bonjour » c’est ouvrir cette porte très personnelle, qui nous oblige à faire de notre mieux en tant qu’individu pour accueillir l’autre en confiance. Cela suppose de nous délester de nos peurs et de la croyance fausse que le contrôle nous protège d’autrui. Dire « bonjour » sans nulle attente, comme un don de soi inconditionnel, comme une foi absolue en l’humanité, comme un rituel essentiel pour le bien-vivre ensemble. Dire bonjour pour sourire à la vie tout simplement…

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